Cet article est la retranscription d'une chronique de Aurore Carcel, diffusé dans l'émission du 22 février 2023 "Les mollusques, sentinelles de la qualité chimique de nos côtes".
Est-ce que tous les mollusques ont des coquilles?
Un grand nombre de familles de mollusques calcifient. Ils produisent alors ce qu’on appelle communément une coquille: c’est la biominéralisation! Les exemples les plus courants sont les gastéropodes, comme par exemple les escargots et tout un tas de “coquillages” marins ou pas, qui produisent une coquille plus ou moins spiralée, et les bivalves, comme les huîtres, les moules ou encore les coquilles saint jacques.
Ces bivalves produisent, comme leur nom l’indique, une coquille en deux parties distinctes attachées entre elles. Chez les céphalopodes, un seul groupe actuel produit une coquille externe: les nautiles. Le plus grand groupe de céphalopodes à coquilles a aujourd’hui disparu: il s’agit bien entendu des ammonites. Les autres groupes de céphalopodes peuvent avoir parfois une coquille, comme le sépion: l’os de sèche blanc que l’on retrouve sur les plages, c’est AUSSI une coquille, mais elle est interne ! Chez le poulpe on retrouve une structure similaire, qui s’appelle “la plume”…
À quoi sert la coquille des mollusques?
Il y a environ 530 millions d’années, au début du cambrien, la terre a été le théâtre d’une explosion évolutive : un grand nombre de nouveaux types d’organismes sont apparus dans l’océan. C’est à ce moment-là que les ancêtres de tous les groupes modernes se sont mis à faire des coquilles, et des proto-squelettes. Avant ça, les organismes vivants étaient “mous”, et c’est pour ça qu’on retrouve très peu de fossiles.
Revenons à nos coquilles: à quoi elles servent? Le plus évident ça pourrait être de dire “pour éviter de se faire manger”. Oui, mais ça n’explique pas pourquoi les coquilles sont apparues à ce moment-là et pas avant. Depuis le début des années 70 certains scientifiques avaient avancé l’idée qu’une augmentation soudaine du calcium dans les océans pourrait en être la cause. Au début des années 2000, des géochimistes américains ont étudié des cristaux de sel marin qui se sont formés à cette époque, et ils ont analysé des micro-gouttes d’eau qui étaient contenues dans les cristaux.
Ils ont montré que la concentration en calcium était trois fois plus élevée que pendant la période qui précède. Ce calcium vient des dorsales qui se trouvent au milieu des océans, où se forme la croûte océanique. Ce serait donc l’expansion des océans qui serait indirectement responsable de l’apparition des coquilles et squelettes.
Mais… Comment les mollusques fabriquent leur coquille?
La coquille des mollusques est fabriquée dans une partie de leur anatomie qu’on appelle le manteau. La formation de la coquille n’est pas régulière, elle peut être plus ou moins rapide, voire entrer en “dormance” si l’animal manque de nutriments ou que les conditions environnementales sont défavorables. Quand les conditions deviennent meilleures et que le manteau recommence à produire la coquille, une “ligne de croissance” apparait. C’est un peu comme les cernes d’un arbre, elles permettent de savoir quel âge a l’animal, mais pas que… L’étude de ces stries de croissance sur la coquille, surtout chez les bivalves, s’appelle la sclérochronologie. C’est ainsi que les chercheurs ont pu savoir que certains bivalves peuvent vivre plus de 400 ans ! Si on mesure les espacements entre les stries, on peut reconstituer le rythme des marées ou encore des saisons. Ensuite, les chercheurs peuvent étudier plus précisément ce que contiennent les coquilles…
Il y a quoi exactement dans la coquille d’un mollusque?
Lorsque les mollusques sécrètent leur coquille, ils utilisent des éléments chimiques de leur environnement. Principalement les éléments du carbonate de calcium, CaCO3: un atome de Calcium, un de carbone et 3 atomes d’oxygène. Mais ils incorporent des fois, en très petites quantités, d’autres éléments chimiques… Par exemple, le plomb, qui est physico-chimiquement proche du calcium, peut être utilisé en substitution dans les coquilles de mollusques.
C’est un peu comme si vous construisiez un objet en legos bleus; et puis vous attrapez une brique rouge ou jaune qui fait presque la même taille: pas grave, ça rentre alors on va l’utiliser!
De nombreux autres éléments chimiques et molécules se retrouvent dans les coquilles, ce qui fait des mollusques de fantastiques enregistreurs de leur environnement. Les chercheurs prélèvent de petites quantités de coquille dans les différentes stries, grâce à des outils adaptés, et ils déterminent ensuite les concentrations de ces éléments chimiques. Et comme ça, on peut reconstituer les variations de l’environnement pendant toute la durée de vie de l’animal. Par exemple, en étudiant l’oxygène, on peut reconstituer les variations de la température de l’eau.
Il existe d’autres indicateurs comme par exemple pour la productivité (c’est-à-dire de l’abondance de nutriments dans le milieu). Les bivalves sont abondants toutes les niches écologiques, on en retrouve partout, donc ils peuvent nous renseigner sur des environnements très variés. Concernant les polluants, on va retrouver par exemple des résidus chimiques, d’éventuels atomes radioactifs, les pollutions microbiologiques (liées à des dysfonctionnements de stations d’épuration par exemple)… Dans les coquilles de bivalves, on retrouve aussi de plus en plus de substances toxiques produites par certaines espèces de microalgues, qui peuvent provoquer des problèmes gastro-intestinaux ou neurologiques, voire des intoxications graves, lorsque les coquillages sont consommés.
Et dans le passé alors?
Avant d’enregistrer les éléments chimiques de l’homme, les coquilles l’on fait à toutes les époques… depuis leur apparition au cambrien ! Et ce qui est super intéressant, c’est qu’elles fossilisent ! C’est donc une sorte de bibliothèque géante que vont consulter les paléontologues et les géochimistes, qui raconte l’histoire du climat depuis plus de 500 millions d’années!
En effet, toutes les analyses citées ci-dessus, peuvent être faites sur des coquilles de mollusques modernes, mais aussi sur des coquilles fossiles. Pour en savoir plus, nous vous invitons à écouter notre émission “Le climat, une histoire d’eau” d’octobre 2022, avec en invitée la paléoclimatologue Mary Elliot.
À l’échelle des temps géologiques, les sables coquilliers et certaines roches en grande partie constituées de coquilles ont joué un rôle important en termes de puits de carbone. C’est-à-dire que le carbone présent dans l’atmosphère en excès à cause des activités de l’homme est emprisonné dans les coquilles, et plus généralement par la biominéralisation de tous les organismes, grands et petits, qui calcifient.
Aujourd’hui, avec le CO2 en excès dans l’atmosphère à cause de l’activité humaine, les océans sont des puits de carbone essentiels. Malheureusement, un des effets directs du réchauffement climatique est l’acidification des océans. Un océan plus acide, est un océan où la calcification est réduite, voire complètement inhibée: l’acidification dissout le carbonate de calcium qui constitue les coquilles des mollusques, particulièrement les larves qui sont très vulnérables. Mais cela impacte aussi tous les organismes qui calcifient : les coraux, certains organismes planctoniques…
Aujourd’hui plus que jamais, il est important de comprendre et étudier ces organismes qui jouent un rôle crucial en absorbant le CO2 en excès dans l’atmosphère, et en grande partie responsable de la crise climatique que nous traversons.
La chronique de Aurore Carcel, diffusé dans l'émission du 22 février 2023 "Les mollusques, sentinelles de la qualité chimique de nos côtes" est a réécouter en podcast sur toutes les plateformes, ou juste ici.