Science et littérature : le mariage qui fonctionne

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Science et littérature ne sont pas des domaines d'études cloisonnés. Ils se nourrissent et s'influencent mutuellement.
Cet article est la retranscription d'une chronique de Sacha Citerne, diffusée dans l'émission du 26 octobre 2022 "Jules Verne : voyage au centre des sciences".


Bien que la science et la littérature appartiennent à des disciplines séparées au niveau académique – avec pour exemple la fameuse division des parcours lycéens entre les filières S et L – qui a d’ailleurs été abolie à la rentrée 2019 – Science et Littérature n’ont pas toujours eu des frontières si marquées.

Il est vrai qu’aujourd’hui on ne lit pas un article scientifique, articulée selon une méthodologie rigoureuse (Introduction / Matériel et Méthodes / Résultats / Discussion) comme on lirait le dernier roman récompensé du prix Goncourt. Mais revenons légèrement en arrière, au début du 17ème siècle, là où la science, telle qu’on l’entend aujourd’hui, n’existe tout simplement pas encore.

La Fontaine contre Descartes au temps de la philosophie naturelle


On parle plutôt de philosophie naturelle ; celle-ci désigne les textes qui s’intéressent à l’étude de la nature et du monde physique, avant l’avènement de la science moderne, qui débute avec les travaux de Copernic puis de Galilée.

Nous sommes alors à la fin de la Renaissance, René Descartes publie le Discours de la Méthode en 1637. Dans cet ouvrage il y expose sa méthodologie du doute – méthode ayant pour but d’éviter l’erreur et de construire le savoir sur des fondations solides et rationnelles, à l’instar des mathématiques.
Descartes vient s’inscrire dans l’humanisme philosophique, ou comme on dirait aujourd’hui, l’anthropocentrisme.
Il y développe notamment sa théorie de l’animal-machine, qui voudrait que les animaux ne soient que des êtres purement mécaniques dénués de conscience.

Illustration d’une fable de Jean de La Fontaine.

Peu après, c’est par exemple chez le poète et fabuliste Jean de La Fontaine qu’on retrouve une mention et réponse à Descartes. Dans son Discours à Madame de La Sablière (qui forme avec Les Deux Rats, le Renard et l’Œuf la 20ème fable du livre IX), il réfute le philosophe en affirmant que les animaux sont sensibles et doués d’intelligence.


J’ai le don de penser, et je sais que je pense / Or vous savez Iris de certaine science / Que, quand la bête penserait / La Bête ne réfléchirait / Sur l’objet ni sur sa pensée. / Descartes va plus loin, et soutient nettement / Qu’elle ne pense nullement. / Vous n’êtes point embarrassée / De le croire, ni moi. (…)

Extrait de « Discours à Madame De La Sablière », Jean de La Fontaine


La Fontaine critique dès lors l’anthropocentrisme de Descartes, qui voudrait rendre l’homme « comme maîtres et possesseurs de la nature ».

Molière et l’émergence de la science

À travers ce siècle, où les savoirs sont en pleine reconfiguration, on retrouve également dans l’œuvre théâtrale de Molière, une capture des débats qui agitent la société intellectuelle. Molière intègre à ses pièces une « réflexion sur la nature humaine déborde le champ spirituel pour donner naissance au champ scientifique ».

Parsemés au fil des dialogues, les échos au débat d’idées que provoque la science émergente sont nombreux chez le dramaturge. On retrouve par exemple une interrogation sur la création du monde dans Dom Juan :

« (…) et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon, qui soit venu tout seul en une nuit »

Réplique de Sganarelle dans Dom Juan, Molière

Ou encore un débat sur la constitution de la matière dans les Femmes Savantes :

« Je m’accommode assez pour moi des petits corps
Mais le vide à souffrir me semble difficile,
Et je goûte fort mieux la matière subtile. »

Réplique de Bésile, Les Femmes Savantes, Molière

Cette réplique met en opposition la position cartésienne, selon laquelle la matière est continue et remplit tout l’espace, à celle du grec antique Démocrite, qui pense la matière constituée de petits grains entourés de vide – les atomes.

Les exemples sont nombreux et montrent que les idées scientifiques représentent un véritable terreau fertile pour nourrir récits et fictions, à l’heure où le roman n’existe pas encore. Le recours à l’imaginaire scientifique, lorsqu’il est appuyé par des procédés littéraires et poétiques, comme l’est par exemple la métaphore, permet de donner vie aux idées. A cette époque, les « zones d’échanges », sont nombreuses entre les approches scientifiques et littéraires.


La plupart des hommes de sciences sont à la fois des littérateurs et des philosophes, comme le britannique Francis Bacon ou le penseur français Blaise Pascal. Ces approches ne constituent pas une division établie, même si leurs horizons vont peu à peu s’éloigner.

Le siècle des lumières qui suivra sera important en termes de diffusion des nouvelles théories scientifiques. La compréhension et maîtrise du monde augmentera grâce à la science. Les travaux de Newton et Kepler en astronomie expliquant la mécanique céleste, de Lavoisier en chimie élaborant une nomenclature des éléments ou de Buffon esquissant une première classification des êtres vivants, seront propagées grâce à des ouvrages, comme le Journal des savants rédigé par l’Académie des Sciences ou l’Encyclopédie écrite par Diderot et D’Alembert.
Mais plus la science s’institutionnalise, plus elle se sépare de la littérature. Elle devient une discipline à part entière, alors même que les échanges sont à leur apogée. Et pour cause, « rares sont les auteurs où leurs œuvres soient extérieures à la science de leur temps » rappelle Michel Serres, feu historien des sciences.

De Zola à Einstein, l’apogée des échanges entre science et littérature


Au 19ème siècle, c’est par exemple Émile Zola, qui est inspiré par les travaux scientifiques de la théorie de l’évolution. Il entreprend le cycle des romans Rougon Macquart où, pour citer l’auteur lui-même, « Les caractères des personnages sont déterminés par les organes génitaux. C’est du Darwin ! La littérature, c’est ça ! ». Il crée donc des personnages qui sont des êtres physiologiques évoluant sous l’influence des milieux dans lesquelles ils vivent. Zola étend donc le savoir scientifique de son temps à sa façon même de faire de la littérature.

La dichotomie entre science et littérature disparaît davantage lorsque l’on s’intéresse à l’élaboration des nouvelles théories scientifiques. Au début du 20ème siècle, le célèbre Albert Einstein construit des expériences de pensées avant d’écrire des équations. Il s’imagine à cheval sur un faisceau de lumière ou dans un ascenseur en chute-libre. Ce sont ces plongées dans l’imaginaire qui lui permettent par la suite de formuler la finitude de la vitesse de la lumière ainsi que sa nouvelle théorie de la gravitation ; la relativité générale.
L’expérience de pensée, c’est ce procédé imaginatif qui se demande « que se passerait-il si ? ».
C’est une des approches que l’on retrouve aussi en littérature, dans un genre émergent du siècle dernier : la science-fiction.

De la Science-Fiction à l’étude académique

Avec les romans d’aventure et d’anticipation de Jules Verne et Herbert George Wells, la voie de la SF a été grandement ouverte et propagée. Le genre a connu de très nombreux auteurs au long du 20ème siècle comme Isaac Asimov, Frank Herbet, Arthur C. Clarke ou Philippe K. Dick – liste loin d’être exhaustive.

Couverture de la série « Voyage extraordinaires » de Jules Verne, édition Hetzel


La multiplicité des récits de SF se différencient en plusieurs sous-genres : la dystopie, l’uchronie, le space-opera ou encore le cyberpunk pour ne citer que les principaux. Ces œuvres – mêlant savoirs scientifiques et imagination – ont gagné une popularité croissante et connues de nombreuses adaptations en bandes-dessinés, films, séries ou encore jeux-vidéos. Mais comme vu précédemment, la SF n’est pas le seul registre qui aborde la science et ses questionnements de façon littéraire.

Depuis un peu plus de 30 ans, l’étude des relations entre la littérature et la science est devenue une discipline à part entière, principalement dans les universités anglo-saxonnes.

Frédérique Aït-Touati, chercheuse spécialiste de littérature comparée et d’histoire des sciences ainsi que metteuse en scène, écrit à propos de ce mouvement que le « rapprochement avec l’histoire littéraire permet d’envisager la science comme une partie intégrante, et importante, de la culture, une revendication des scientifiques souvent trop peu entendue » et que « cette ouverture symétrique témoigne d’une volonté d’interroger, et ainsi de remettre en cause, les grandes partitions binaires de la pensée occidentale ».

Ainsi, l’idée qu’un scientifique ne communiquerait qu’en chiffre et en graphique et qu’un littéraire ne comprendrait pas le monde, en dehors des figures de styles, est un présupposé à jeter à la poubelle.
Science et Littérature ne s’opposent pas mais au contraire, se complémentent et s’influencent mutuellement pour donner une vision du monde toujours plus riche et complexe.

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