Retour vers les savoirs : les années 30 et la fascination du nucléaire

mots clés

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on whatsapp
Share on telegram
Dans les années 30, le quotidien Science et Monde fait un dossier sur une fascinante et mystérieuse technologie : le nucléaire.
Cet article est la retranscription d'une chronique de Jérémy Freixas, diffusée dans l'émission du mercredi 29 juin 2022 "Retour vers les savoirs". 


Pour la dernière émission de la saison 2021-2022, les bénévoles du Labo des savoirs ont fouillé dans les archives pour comprendre quels imaginaires les sciences et les découvertes du passé ont-elles façonné pour le 21e siècle à venir. Nous sommes en 1933, dans la lecture de l’hebdomadaire scientifique Science et Monde qui nous parle d’une technologie mystérieuse et fascinante : le nucléaire.

La Une du numéro de février 1933, consultable ici.

De l’électricité pour… sa voiture.

Le sujet du dossier de la semaine : “Que fera l’électricité en l’an 2000 ? ”. Sacré exercice d’anticipation que d’imaginer quelles seront les sources en énergie électrique presque 70 ans plus tard. Près d’un siècle nous sépare de l’analyse de l’auteur de l’article, Jean Labadie. Pourtant, la pertinence de ses lignes, à la lumière de l’actualité de 2022, impressionne.

Le journaliste déplore en effet le fait que “l’électricité ne cesse pas d’avoir toujours son fil à la patte, ses câbles de tout calibre, avec, à chaque bifurcation, un transformateur”. Il attend le moment où “l’énergie électrique [obtiendra] son autonomie, chaque moteur électrique emportant avec lui sa provision d’énergie”.

Cette idée d’embarquer au sein du moteur une portion d’énergie : cela fait diablement penser à une batterie. Elles existaient déjà dans les années 30, notamment la batterie au plomb qui équipe encore à l’heure actuelle nos véhicules à énergie fossile. Mais la densité d’énergie qui y est stockée est relativement faible.

L’article relate que les quelques véhicules électriques disponibles à cette époque devaient embarquer près de 250 kilos d’accumulateurs au plomb pour garantir une autonomie de 120 km en roulant à une vitesse de 60 km/h.

Évoquant les travaux d’Einstein, qui pose l’équivalence entre la matière et l’énergie, cet article nous fait rêver en dessinant la possibilité de “consommer” la matière afin d’alimenter des machines, et notamment… sa voiture ! Comment faire ? Ce n’est pas si simple. L’article évoque vaguement le “moteur à Radium de Pierre Curie” sans en donner de détails techniques. Cette machine semble s’inscrire dans une quête impossible de l’époque moderne pour le mouvement perpétuel.

De l’énergie plus propre ?

D’autres modes de production d’énergie électrique sont également évoqué, comme les centrales aéro-électriques, lointain ancêtre de l’éolienne. On envisageait donc déjà des énergies électriques propres en 1933. Un point de vue qui semble original en 2022, tant le nucléaire et les énergies renouvelables semblent être mises en opposition, alors qu’elles pourraient éventuellement toutes contribuer à un mix décarboné. Mais surtout, en 2022, il faut tout de même reconnaître que l’on n’a pas encore installé de générateur nucléaire dans sa voiture.

Retour en 1933, où Jean Labadie a mis le doigt sur l’incroyable densité d’énergie contenue dans la matière. Il faudrait environ 100 tonnes d’essence pour retrouver l’énergie stockée dans un kilo d’uranium 235 .

Mais le nucléaire n’a pas vraiment permis de résoudre de supprimer des lignes électriques ou des transformateurs. Au contraire, le réseau français est relativement centralisé, avec ces centrales fonctionnant comme des nœuds incontournables.

Un pacemaker au plutonium

Néanmoins, quelques dispositifs ont tenté d’exploiter ces réactions nucléaires pour fabriquer une sorte de pile. C’est le cas d’un pacemaker dans les années 70 développé par un consortium : Medtronic, Alcatel et le CEA. A l’époque, les pacemakers sont alimentés par des piles au mercure, demandant un remplacement tous les 18 mois. L’utilisation d’une pile au plutonium promet une durée de vie supérieure à 10 ans. Dans les faits, parmi les quelques milliers de personnes équipées de ce pacemakers, plusieurs le portent toujours aujourd’hui. Comment cela fonctionne-t-il ?

Article de Becky Yerak publié dans le Wall Street Journal en janvier 2022. La photo est celle d’un pacemaker de 1973 développé par « the Arco Nuclear » et alimenté par une pile au plutonium.

Lors de la désintégration des noyaux de plutonium, de la chaleur est libérée. Celle-ci est captée par un thermocouple. Ce composant électronique crée une tension lorsqu’il est en contact avec une forte différence de température. Une encapsulation du système d’alimentation permet d’atténuer les rayonnements et de protéger la personne.

La première implantation d’un tel dispositif a été réalisée en France, en avril 1970. Le stimulateur contient alors 125 mg de plutonium 238.

Mais ces pacemakers ont été progressivement détrônés par des équipements alimentés par une pile au lithium. La durée de vie de 10 ans est toujours garantie, et la fabrication est bien plus simple.

C’est plutôt cocasse, car c’est cette même batterie au lithium qui aujourd’hui alimente majoritairement les véhicules électriques. Le poids de ses batteries embarquées dans nos véhicule électrique tourne autour de 250 kg. Soit la même masse qui semblait délirante pour Jean Labadie en 1933.

Qu’il se rassure, les piles nucléaires ont toujours quelques applications. Certaines sondes spatiales sont alimentées par ce genre de dispositifs. Citons par exemple les sondes Voyager lancées par la NASA il y a presque 45 ans, dont les générateurs sont toujours en état de fonctionner bien qu’au bout de leurs limites.

Prédiction d’un avenir de surproduction et de chômage

Jean Ladabie conclut son article sur une note moins technique, en appelant les lecteurs et les lectrices à “s’imagin[er] les problèmes sociaux qui découleront [des ces inventions]”. Qu’entend-il par là ? Il mentionne deux choses : la surproduction et le chômage.

Cette crainte de la surproduction rappelle le roman de Karel Čapek paru en 1922, La Fabrique d’Absolu. Une mystérieuse machine tire l’incroyable énergie de la matière, ce qui semble être une anticipation des combustibles nucléaires. Les usines tournent alors à plein régime, produisant des quantités débordantes de tout et n’importe quoi. Les gens sont touchés par une épidémie de mysticisme, comme si le côté divin de la matière imprégnait l’atmosphère, son enveloppe matérielle étant alors détruite. La prédiction d’un imaginaire sombre pour notre siècle.

Pour le chômage, le magazine hésite sur la réponse à apporter : faut-il partager le travail en passant aux 32 heures ? Créer des bullshit jobs pour compenser ? Maintenir la pression sur les personnes hors système en conditionnant le versement de leur RSA à un “investissement bénévole” ? Difficile de trancher !

L’auteur nous donne sa réponse :

Parallèlement aux progrès techniques inéluctables, l’humanité aura fait quelques découvertes morales, notamment celle-ci, que l’industrie doit avoir pour le service intégral de l’humanité toute entière et non de servir de base à des compétitions nationales”.

Jean Labadie

Je dois admettre que je me méfie toujours lorsque le progrès inéluctable est invoqué. Pour qui ? Pour résoudre quel problème ? C’est toujours un peu flou. Mais une interrogation me reste en tête : où sont ces inventeurs, ces chercheuses, qui arriveront aujourd’hui à faire émerger cette découverte morale déjà formulée en 1933 ?

mots clés

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on whatsapp
Share on telegram

Ce contenu devrait vous plaire

La seule solution pour ne rien rater du Labo des Savoirs, c'est de s'inscrire à la newsletter